L’HUMANITE /
On croyait que l’illusionnisme, cet art millénaire qui se pratiquait déjà sous l’Antiquité, appartenait à un passé révolu. On voyait Garcimore ou Gérard Majax, faisant des tours de passe-passe avec mouchoirs, lapins ou blanches colombes, officier dans des banquets de seconde zone ou des arbres de Noël ringards.
Mais voilà que la magie nous revient, dépoussiérée et des Etats-Unis, après avoir intégré et digéré les toutes dernières technologies de pointe, après avoir jeté chapeau-claque et frac pour se mouler dans le cuir, pour enfiler perfecto et santiags. Et sans doute ne faut-il pas voir un hasard dans le fait que Claudia Schiffer, l’une des femmes considérées comme les plus belles et les plus riches du monde, se retrouve fiancée à David Copperfield, magicien de son état et lui-même classé par le magazine américain «Forbes» comme la dixième star la mieux payée outre-Atlantique…
Question: par quel hasard la magie a-t-elle ainsi retrouvé des ailes? Les réponses seraient de plusieurs ordres. D’abord, la magie fonctionnerait en réaction à la vie moderne: dans un monde envahi par la machine et obsédé par la technologie, l’illusion réintroduirait le mystère, la poésie et la part de rêve nécessaires à l’homme. Dans un monde de crise, d’insécurité et de prise de risque moindre, la magie pourrait, aussi, s’avérer un moyen de recréer un sens du danger sans avoir à faire l’expérience du véritable danger, comme un truc parfaitement maîtrisé, un envers du décor banal à pleurer.
De là à conclure, comme certains anthropologues américains, que ce regain d’intérêt pour la magie serait provoqué par l’approche de l’an 2000 et par le désir de trouver des solutions magiques au chômage ou à l’insécurité ambiante, il y a, bien sûr, un pas que nous ne franchirons pas.
N’empêche. Le succès de l’émission de FR3 « Attention magie », celui de l’illusionniste qui intervient dans les émissions de Dechavanne, sans compter la propension de la télévision à faire passer à tout propos du faux pour du vrai, participe certainement de la régression obscurantiste qui envahit les esprits et qui cherche à nous faire prendre les vessies du paranormal pour les lanternes de l’inexplicable.
En attendant, le ténébreux David Copperfield, qui fait salle comble tous les soirs à Paris, ne supporte pas qu’un Français soit capable de tricher aussi bien que lui sans avoir eu besoin de lui acheter ses trucs. Star, mais mauvais joueur, le milliardaire voudrait, paraît-il, intenter un procès à Yves Barta, un ancien stewart d’Air France, capable, à force de travail et d’ingéniosité, d’imiter ses meilleurs numéros: de la lévitation en passant par la femme coupée en deux, sans parler du tour qui consiste à passer au travers d’une hélice en marche. Mêmes programmations informatiques, mêmes dématérialisations, mêmes bluffs… Abracadabra. Que le spectacle commence !
MAGALI JAUFFRET
Source : http://www.humanite.fr/node/89253